Quinze membres de l’association les Amis du Musée Paul-Valéry se sont retrouvés mardi 6 octobre dans la cour du château de Flaugergues pour visiter les jardins et la folie de la famille Colbert, à cinq minutes de la sortie Montpellier-Est de l’autoroute, îlot de campagne en pleine ville.
Un café offert par le fils de la famille a permis de patienter, le temps de régler un problème d’intendance. La visite des jardins a commencé peu après 11 heures avec Noémie. Dans son sillage, nous voilà dans le jardin à la française dont les haies géométriques de buis s’entrelacent autour d’un étrange cadran solaire perse, un bi-dodécaèdre, entre deux rangées de cyprès d’ascendance toscane. Il y a là aussi toutes sortes de plants d’agrumes dans des jarres en terre cuite de la région.
Une volée d’escalier plus haut, nous découvrons les statues (masquées) de l’Abondance et de la Terre qui encadrent la terrasse de la folie construite à la fin du XVIIe siècle.
D’ici, on voit que le domaine, une trentaine d’hectares, est enchâssé dans un fouillis de bâtiments qui témoignent de l’urbanisation anarchique de la ville.
Ici, nous apprenons que la bâtisse n’a pas été construite en raison d’un égarement quelconque de son propriétaire. A Montpellier, une “folie”, car il s’agit d’une singularité montpelliéraine du XVIIe siècle, le mot dérivé du latin « folium » signifiant feuillage, désigne la maison de campagne d’un membre de la Cour provinciale des comptes où il y a forcément un jardin d’agrément et une exploitation viticole. Les experts se chicanent sur le point de savoir s’il faut compter 50 ou 100 folies. Il est sûr en revanche qu’il n’en reste que deux qui ont gardé leurs fonctions initiales (Flaugergues et L’Engarran) et deux qui sont occupées par les descendants de leur premier propriétaire (Flaugergues et Mogère).
On ne quitte pas la terrasse sans être mis à la question. C’est quoi ce gros buisson contre la grille ? Un myrte bien sûr ! Et ça sert à quoi la myrte ? Avant d’être utilisée dans la cuisine méditerranéenne contemporaine, les Romains mettaient les baies séchées dans leur vin pour lui donner bon goût.
De l’autre côté de l’imposante grille en fer forgé classée par les Monuments historiques ainsi que les balustrades des balcons, une allée longue de 240 m, engazonnée et bordée de grands oliviers. Ceux qui avaient été plantés à l’origine du domaine et dont les branches formaient une voute ont été gelés lors du terrible hiver de 1954. Il s’agissait d’une variété rare sinon disparue, plus ornementale que productive. Pour répondre à l’injonction de replanter à l’identique, plusieurs espèces ont été hybridées. Une voute de feuillage finira donc par se reconstituer au-dessus de l’allée au bout de laquelle on a vue sur les immeubles du Millénaire.
Côté gauche, nous avons un jardin de permaculture géré par l’association Oasis Citadine et trente hectares de vignes dont les ceps sont protégés par de gros galets qu’un ancien bras du Rhône charriait là jadis. Ils donnent aux vins du domaine une note minérale que beaucoup apprécieront lors de la dégustation.
Côté droit, nous entrons dans la forêt plantée d’espèces rapportées ici de tous les continents au fil des voyages des générations successives. A l’inverse du jardin à la française rigoureusement dessiné et entretenu, la forêt se rapproche le plus possible de l’état naturel. Sur un tapis de feuilles mortes et de brindilles, on arrive devant un grand chêne liège sans doute vieux de plusieurs siècles. L’espèce est-elle vouée à disparaître ? Pour tenter de l’éviter, une partie des bouteilles de vin du domaine sont bouchées avec des capsules à vis.
Plus loin, voilà un oranger des Osages. Les Amérindiens de l’Oklahoma qui lui ont donné son nom s’en servaient pour faire des arcs. Il a été introduit en Europe pour remplacer le murier, sans succès. Il produit un fruit qui ressemble à une orange verte mais qu’il vaut mieux ne pas manger. Et il entremêle ses branches à celles des voisins vers lesquels il penche jusqu’à s’abattre sur le sol afin de se reproduire.
On traverse un jardinet de plantes médicinales et on arrive à un ginkgo biloba qui a démesurément grandi pour dépasser les bambous qui l’entourent. Il appartient à la plus ancienne espèce d’arbres connus, antérieure à l’apparition des dinosaures, même pas détruit par la bombe d’Hiroshima. Il est utilisé dans la pharmacopée chinoise qui lui attribue des vertus conte le vieillissement. Il est connu en France sous la dénomination d’arbre aux quarante écus, somme considérable au XVIIIe siècle (environ 1500 euros actuels) versée par un botaniste pour en acquérir cinq plants.
Il reste à traverser la bambousaie (bambouseraie est réservée à Anduze) où l’on découvre la diversité de cette graminée (bambous nains, géants, verts, jaunes, noirs…) avant de regagner la cour des anciennes écuries transformées en salles de réception.
L’heure de la dégustation des vins du domaine, blanc, rosé, rouge, a sonné. Elle sera convaincante, tous les participants repartant avec quelques flacons. Après le repas et le café, Henri de Colbert nous a rejoint pour commenter lui-même la visite du château.
Il commence par rappeler les liens de sa famille avec Sète, le ministre de Louis XIV ayant soutenu la construction du canal du Midi entreprise par Paul Riquet qui a aboutit à la fondation de notre ville. En chemin vers le château, il indique que la tête sculptée sur le mur de la cour est probablement celle de Saint-Louis ; il explique que le col des jarres dans lesquelles de la nourriture était conservée autrefois est vernissé pour empêcher les souris de grimper ; il montre aussi les marques cachées qui indiquent l’origine de ces jarres, les fleurs de lys témoignant d’une origine française ; il précise que les statues qui flanquent la terrasse sont les répliques de statues des jardins de Versailles.
Nous voilà dans le hall du château, au pied d’un escalier, monumental et unique au monde. Ses volées sont suspendues et soutenues, ainsi que les paliers, par des arcs à clefs pendantes, sans aucun support. Spectaculaire prodige architectural ! On admire les riches tapisseries flamandes représentant les épisodes de la vie de Moïse, prophète d’importance pour les protestants. On découvre un petit dauphin sculpté dans l’angle du palier du premier étage pour cacher un chameau, c’est-à-dire une irrégularité dans la rampe de l’escalier.
Puis on suit le maître des lieux dans l’évocation de l’histoire de ses ancêtres, longue lignée d’hommes au service de leur pays, de pièces en pièces, en passant devant un tableau, un meuble, un plat de barbier, un sabre, une cote d’archive, un livre précieux… Ce registre d’aveux par exemple, de soie et de fils d’or, où étaient consignés les baux des fermiers et des métayers, sauvé de la fureur des sans culotte. Henri de Colbert est intarissable, reliant au passage avec un humour la Grande Histoire, avec notre quotidien. On le quitte en se promettant de réviser notre histoire de France.
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