Vendredi 13 mai: visite de LUMA et du musée Réattu à Arles
Arles étant à une grosse heure de route de Sète, avec les vingt-cinq amis du musée Paul-Valéry inscrits à la sortie de vendredi 13 mai, nous nous sommes levés dès potron-minet pour gagner le lieu de rendez-vous de notre première visite guidée de la journée, sur le parvis de l’extravagante tour construite par l’architecte américano-canadien Frank Gehry pour la collectionneuse helvète Maja Hoffmann sur l’ancien site des ateliers de construction et de réparation ferroviaires de la compagnie PLM.

Après nous avoir collé sur la poitrine une pastille rouge siglée LUMA, une jeune médiatrice pleine d’entrain prénommée Luna nous a fait découvrir les merveilles de l’édifice non sans avoir rappelé au préalable le projet de sa mécène et le propos de son concepteur.
Maja Hoffmann donc est l’arrière-petite-fille de Fritz Hoffmann, fondateur des laboratoires Hoffmann-Laroche, qui sont devenus le leader mondial du secteur, et la fille de Lukas Hoffmann, ornithologue de réputation mondiale, qui a particulièrement travaillé sur les oiseaux migrateurs de Camargue où il a fondé le domaine de la Tour de Vallat. Il lui a transmis l’amour d’Arles et de la Camargue où elle a passé une partie de son enfance. Héritière d’une fortune colossale, elle l’est aussi d’un intérêt familial pour l’art moderne dont sa grand-mère, Maja Sacher, avait constitué une belle collection. Réalisatrice, collectionneuse, mécène, engagée dans de prestigieuses institutions culturelles, en 2004 à Zurich, elle a créé LUMA (contraction du prénom de ses deux enfants Lucas et Marina), fondation destinée à « soutenir et financer des projets artistiques visant à approfondir la compréhension des questions liées à l’environnement, aux droits de l’homme et à l’éducation et la culture ». En 2013, elle a lancé le projet de campus créatif interdisciplinaire qui va prendre corps en 2021, sur la friche industrielle laissée par la SNCF, avec l’achèvement de la tour conçue par Frank Gehry.

En plus d’un demi-siècle de carrière, l’architecte a laissé derrière lui des bâtiments ébouriffants qui valsent, qui tournoient, qui planent. À Arles, il est saisi par la minéralité des vestiges romains, l’intensité de la lumière provençale et la puissance du vent qui balaie le Rhône. Il ne propose donc pas un remake du Guggenheim de Bilbao ou de la Fondation Louis Vuitton à Paris, mais quelque chose de plus proche de la 8 Spruce Street Tower à New York ou de la Tour Gehry à Hanovre, acier et béton émergeant d’un cylindre de verre inspiré des proches arènes antiques. L’effet n’en est pas moins sidérant. Et nous allons l’être à tous les niveaux.

Niveau 0, la rotonde. Une fois à l’intérieur, notre guide explique que le hall, immense rotonde de 54 m de diamètre et 18 m de haut, a été conçu pour être une sorte de salle des pas perdus, ouvert à tous vents grâce à de puissants vérins relevant les panneaux de verre. Hélas ! les contraintes sanitaires liées à la pandémie obligent à réguler l’accès (on est donc comme des poissons dans un aquarium). D’autres surprises nous attendent.



D’abord l’acier. Il n’y a pas moins de 11 000 briques d’acier inoxydable forgées à Alès, de tailles différentes, martelées ou micro-percées, emboitées le long de la tour de 56 m de haut en torsade dont émergent 53 loggias de verre. Le tout forme un immense miroir baroque qui renvoie, bonheur des photographes, une lumière changeante à tout instant.

Ensuite l’escalier monumental. Le double colimaçon qui s’entortille entre le niveau 2 et le niveau 0 de la tour est surmonté par un grand miroir rond qui tourne lentement mais comme il a été fixé de biais au plafond par son concepteur danois, Ólafur Elíasson, en s’y contemplant, le visiteur a le sentiment de se mettre à flotter dans une nouvelle dimension.

Après le sel. Le mur dans lequel s’ouvre les portes d’ascenseurs est composé de carrés blancs d’une matière cristalline, du sel, aux propriétés antibactériennes et ignifuges. Les panneaux ont été créés en immergeant pendant au moins deux semaines des plaques de titane dans l’eau des marais des Salins du Midi. Leur pigmentation et leur texture varient en fonction de la saison où ils ont été réalisés. Il en a fallu 4 000 pour isoler les escaliers.

Puis les tournesols. On n’entre pas au Drum Café pour boire un verre, mais pour admirer les murs. Ils sont composés de grandes dalles vertes, légèrement grumeleuses. Ce sont des carreaux fabriqués avec des résidus de tournesol qui ont été imaginés dans les Ateliers LUMA. Les tournesols sont aussi la base et le motif de la tapisserie monumentale qui a été confectionnée par la manufacture d’Aubusson avec de la laine de mérinos de la région d’Arles et de pigments issus de plantes locales.

Descente au niveau -2, la collection. On passe devant d’énormes champignons (vénéneux ou pas) avant de pénétrer dans la galerie consacrée aux collections de Maja Hoffman (The impermanent Display), vaste espace sur le sol duquel semblent s’égailler les pigeons de la place San Marco. On y voit aussi, entre autres, une statue du Suisse Urs Fischer (l’Enlèvement des Sabines) qui se consume comme une chandelle, une Blanche Neige en train de batifoler avec Simplet (œuvre de l’Américain Paul McCarthy qui avait défrayé la chronique avec un sapin de Noël en forme de plug anal) et une vision du Purgatoire inspirée de Dante par la britannique Tacita Dean qui a colorisé au crayon à dessin un négatif représentant un jardin d’enfants au bord d’une rue plantée d’arbres immenses.



Montée au niveau 2, l’installation. On va devoir faire attention de ne pas mettre les pieds dans une flaque de teinture qui stagne dans un coin de la salle attribuée au Français Dominique Gonzalez-Foerster pour la projection de son Endodrome, œuvre de réalité virtuelle sensée provoquer une « transe cognitive » dans une sorte de « séance de spiritisme ».

Arrivée au niveau 9, la terrasse. De là, malgré un léger voile de brume, on distingue au loin l’abbaye de Montmajour, les Alpilles, le Ventoux, la Camargue, tandis qu’au pied de la tour s’étend Arles le long du Rhône, avec par là la ville moderne et par ici l’antique cité romaine.

Passage par le niveau 8, l’Open Space. Aménagé par le designer allemand Konstantin Grcic, le volume, largement ouvert sur les paysages environnants, est modulé par des rideaux en mailles de fer qui témoignent de la « radicalité » revendiquée par leur concepteur.

Redescente au niveau 2, l’escalier. En l’empruntant, on longe une installation de l’Anglaise Helen Marten qui a superposé dans des cadres d’aluminium des plaques de verre hybrides, entre vitraux et peinture, où se conjuguent gravure à l’acide, émaillage, fusion, sablage, coloration à l’argent, sérigraphie et peinture à la main. Intitulé Day Light Songs (biting the air), l’ensemble de formes graphiques laisse deviner des signes, des diagrammes, et des visages que transforme la lumière entrante.

Niveau 2, le toboggan. Pendant de l’escalier monumental, le toboggan en double hélice installé par le Belge Carsten Höller se veut « une sculpture dans laquelle on peut voyager ». Le voyage est bref, avec sensations de trépidations pendant et léger vertige après suivi de fou-rire. Plusieurs amis l’ont vaillamment testé.
Au retour au niveau 0. C’est l’heure de remercier Luna et de passer au Réfectoire, un des restaurants du Parcs des Ateliers. Le repas est servi sur 5 grandes tables dans des écuelles dont le contenu, légumes et viandes locales, enchantera (ou non) nos amis. Nous y avons été rejoints par la présidente des Amis du musée Réattu qui est notre prochaine étape, à peine un quart d’heure de marche du parc des ateliers mais à des années-lumière de LUMA.

On est attendu par Andy Neyrotti, responsable de la conservation des œuvres du musée et commissaire de l’exposition Gargareôn présentée jusqu’au 15 mai. L’homme est passionné et passionnant, on s’en rend compte dès la brève présentation du musée qu’il fait dans la cour d’entrée où s’épanouit un févier d’Amérique, planté là par un gamin il y a une quarantaine d’année et devenu le totem du musée.

Ici pas d’acier inoxydable, pas d’immenses baies vitrées, mais de la pierre, du bois, des gargouilles. On est dans l’ancienne commanderie d’un ordre hospitalier, les chevaliers de Malte, à fleur de Rhône depuis le XVe siècle. À la Révolution, le bâtiment est devenu un bien national acheté par un peintre local, Jacques Réattu pour en faire son atelier et sa demeure sinon une résidence d’artiste (à laquelle rêvera aussi Van Gogh plus tard). L’espace est contraint par sa destination première. Sans que ces contraintes aient nui à son attractivité auprès de sculpteurs ou de peintres modernes. « C’est ici que sont nées les Rencontres photographiques d’Arles » glisse malicieusement Andy Neyrotti avant de nous emmener dans l’univers d’Ugo Schiavi qui se présente comme « un archéologue du monde actuel ».

Le suivre, c’est d’abord résoudre une énigme : pourquoi y a-t-il des bouts de bois flotté dans des débris d’une sorte de grosse poterie sous un projecteur dans une salle où est accroché un médiocre tableau romantique (berger au bord d’une rivière avec ruines, collines et château en arrière-plan) ? Brisé, c’est une statue de lion, et le lion c’est l’emblème héraldique d’Arles dont la devise est « Ab ira leonis » (par la colère du lion). On est donc devant une métaphore. Franchement, on n’aurait pas trouvé tout seul.

D’une énigme l’autre : pourquoi y-a-t-il une sandale de plage en plastique incrustée dans une sorte de concrétion de résidus improbables de couleurs acides ? Il faut réviser la mythologie grecque pour répondre. Avant d’être une espèce de corail, les Gorgones étaient trois créatures marines maléfiques qui avaient le pouvoir de pétrifier ceux qu’elles regardaient. Méduse était l’une d’elles. C’est aussi le nom des innommables sandales de plage dont l’une a été pétrifiée dans les résidus collectés autour des usines de Fos-sur-Mer par Ugo Schiavi pour faire sa série des concrétions colorées baptisées « gorgones ». Ficelle, selle de cheval, cheval de course…


Un peu plus loin, le plasticien, tel Persée, accroche la tête de Méduse en regard d’une mauvaise copie du Persée délivrant Andromède de Rubens. Et après encore une mise en regard d’un petit tableau où Saint-Michel terrasse un dragon (représentation un tantinet grotesque du mal, la grosse bestiole ayant les yeux exorbités et tirant la langue sans cracher la moindre flamme) et trois gargouilles moulées à la faveur du confinement sur celles qui surplombent la cour intérieure du musée.

Forts de ces lumières et après avoir visionné une vidéo d’images de synthèses qui résume et met en perspectives le travail du plasticien pour ce musée amarré dans l’ultime coude du Rhône dont les eaux charrient inéluctablement nos vestiges, on peut aller contempler tranquillement un Neptune en ruine déjà exposé à Nantes.

« Empreinte de l’esthétique de la ruine, [l’œuvre d’Ugo Schiavi] semble s’employer à fabriquer de nouveaux vestiges, qui fixent dans la matière les traces de la vie contemporaine tout en faisant résonner le passé des villes qu’il arpente » indiquait la fiche de présentation de l’exposition. Andy Neyrotti nous l’a magistralement démontré. Nous l’en avons chaleureusement remercié.