Vendredi 14 octobre 2022: statues-menhirs, Fernand Léger, Pierre Soulages à Rodez

Nul n’aura regretté s’être levé à l’heure du laitier (c’est-à-dire, pour ceux qui n’ont pas connu les laitiers, vers 5 heures du matin) vendredi 14 octobre parmi la trentaine d’Amis du musée Paul-Valéry qui ont souscrit à la visite des musées Fenaille et Soulages de Rodez tant la journée fut passionnante. Mais reprenons du début.

Départ donc du Mas-Coulet à 7h20 (le bus attendu à 7 heures est bien caché). Le thermomètre affiche 25°. Vers 10 heures, l’austère cathédrale Notre Dame de l’Assomption émerge des brumes qui nous ont enveloppé pendant la traversée des plateaux du Larzac et du Levézou. Une vingtaine de minutes plus tard le chauffeur du car nous laisse devant le musée Denys-Puech (sculpteur contemporain de Rodin et de Bourdelle, grand prix de Rome, directeur de la Villa Médicis, très apprécié sous la IIIe République puis tombé dans l’oubli). Le mercure ne dépasse pas les 14°, il bruine. Heureusement nous sommes à deux pas du musée Fenaille, place de la mairie.

Statues-menhir des Maurels

Ce musée a été installé en 1937 dans un hôtel particulier des XIIIe et XVIe siècle sauvé de la destruction par Maurice Fenaille, magnat du pétrole, époux d’une Aveyronnaise muse d’Auguste Rodin, amateur et collectionneur d’art, qui a en fait don à la Société des lettres, sciences et arts de l’Aveyron pour y abriter les quelque 25 000 objets témoignages de la présence humaines dans le Rouergue depuis 30 000 ans alors accumulés par ses membres. Réouvert en 2002 après quatorze ans de fermeture dont plus de quatre ans de travaux, le musée est mondialement connu pour abriter la plus importante collection de statues menhirs, dont la fameuse Dame de Saint-Sernin.

Pour le vingtième anniversaire de cette réouverture, un hommage appuyé aux statues-menhirs est rendu par l’exposition du 2 juillet au 6 novembre de trois monolithes singuliers : une statue en basalte provenant du site de Tell Brak, dans le nord-est de la Syrie et confiée par le musée du Louvre ; un rare buste en pierre provenant des îles australes et prêté par le musée du Quai-Branly Jacques-Chirac avec une stèle anthropomorphe provenant de la Cross River, au Nigéria.

La visite de ces merveilles se fait dans les pas de Sylvie, robuste Aveyronnaise, qui, sans être médiatrice diplômée, n’en est pas moins une passionnante ainsi que passionnée connaisseuse des trésors de « son » musée. Avec elle on apprend donc à faire la différence entre statues « homme » (fourreau, arc, flèches) et « femme » (tatouages, colliers, seins) qui peuvent éventuellement changer de genre ou comment ces statues ont été mises au jour lorsque la mécanisation de l’agriculture a permis au soc des charrues de fouiller plus profondément la terre. Elle doit toutefois avouer qu’on ne sait pas vraiment grand-chose sur ces dalles laborieusement gravées à l’époque où les pharaons de la IVe dynastie construisaient leurs plus grandes pyramides.

La Dame de Saint-Sernin

On note que Pierre Soulages, marqué durant son adolescence par les statues-menhirs, a accroché une de ses toiles dans la salle d’exposition pour la durée du vingtième anniversaire. Et qu’en miroir, « La dame de la Verrière », statue chère au peintre, est exposée dans la salle 5 du musée Soulages depuis son 100e anniversaire.

On passe ensuite à l’étage consacré à l’antiquité gallo-romaine durant laquelle la cité de Segodunum (future Rodez) a été un riche carrefour commercial. En témoigne une tête de cheval en marbre gallo-romaine, des mosaïques de scène mythologique, des tessons d’amphore ayant contenu des olives, des pièces de monnaie des Tectosages, une divinité au torque et au poignard et des dizaines d’autres artefacts découverts dans les environs.

Tout est minutieusement détaillé. Si bien que l’heure a tourné et qu’il faut passer rapidement devant d’autres statues, en bois polychromes celles-là, de l’époque romane, qui sont aussi de pures merveilles.

Il est temps de rejoindre la brasserie des Colonnes sur la place d’Armes, dominée par la façade occidentale fortifiée en grès rouge de l’imposante et sévère cathédrale que nous visiterons rapidement après l’incontournable aligot-saucisse ruthénois.

De là nous gagnerons, en bas de l’ancien foirail, le musée Soulages, cubes couverts d’acier Corten conçus par les architectes catalans Roques et Passelac (prix Pritzker 2017). C’est là que nous attend (si l’on peut oser la métaphore culinaire) le véritable « plat de résistance » de la journée : Soulages-Léger (avec un jeune médiateur) ou Léger-Soulages (avec le directeur adjoint du musée) selon le sens de la visite.

Commençons par celle-là, l’exposition « La vie à bras le corps », 86 œuvres de Fernand Léger accrochées selon trois thématiques, la ville, le travail et les loisirs, où transparaissent des influences (Mondrian, Dali, Picasso), des rencontres (Le Corbusier), des voyages (exil aux Etats-Unis pendant la Seconde Guerre), une utopie (le communisme) et une obsession (le progrès transformant la nature et l’humain).

L’artiste va donc déstructurer, recomposer, assembler, simplifier, mécaniser, badigeonner, grossir les éléments de son thème récurrent, le prolétariat échappant à sa condition grâce au progrès, en passant par tous les états de la peinture du XXe siècle. Il est cubiste, tubiste, moderniste, puriste, abstrait, surréaliste, structuraliste… sans jamais l’être vraiment. Et sans jamais vraiment convaincre ceux auxquels il voudrait d’abord s’adresser, les ouvriers, alors qu’il est une icône des manuels d’histoire de l’art moderne.

Pourquoi son « Mécanicien » est-il gris avec seulement quatre doigts ? Sans doute parce que, dans le monde moderne de Léger, l’homme n’a besoin que de ce qui lui est utile et que l’auriculaire ne sert pas à grand-chose. Allez pourtant faire croire à un mécanicien qu’il n’a pas besoin de tous ses doigts…

Pourquoi la CGT n’accepte pas le tableau « Les Constructeurs » inspiré de choses vues pendant son exil aux États-Unis ? Parce que les ouvriers travaillent sans protection. Allez dire à un ouvrier du bâtiment qu’il peut grimper sur un échafaudage sans harnais et sans casque…

La Grande Parade aura plusieurs fonds, rouge, jaune, bleu

En se cherchant sans cesse, Léger ouvre des pistes qui seront allègrement suivies par d’autres : compositions reproduites sur des fonds différents comme « La Grande Parade » qui sera rouge, verte ou jaune; éléments d’un tableau repris dans plusieurs autres comme les artistes de cirque ; œuvres promises à la décoration des murs de ville… On finit devant « Les Grands Plongeurs Noirs » qui sera une source d’inspiration indubitable pour Keith Harring.

Les Grands Plongeurs Noirs inspireront Keith Harring

Nous laissons Léger pour passer dans la salle 6 du musée. Quatre murs, quatre temps dans l’œuvre peinte de Pierre Soulages, de l’abstraction à l’outrenoir en passant par les bruns, des bleus et du blanc sous noir. Pour cela il y a plutôt que des pinceaux d’artiste des outils du bâtiment, plutôt que le chevalet un pont roulant qui permet de travailler au-dessus des toiles… Il faut aussi une vigueur exceptionnelle pour étaler la matière sur les mètres carrés. Et puis il faut encore laisser une place au hasard qui fait parfois ressortir une tâche.

Reste à savoir comment Pierre Soulages en est arrivé à ces immenses panneaux noirs plus ou moins finement striés. Les scientifiques parlent de sérendipité, une découverte faite en faisant une tout autre recherche. Notre guide nous raconte donc que l’artiste travaille très tard dans la nuit sur un projet qui semble lui échapper malgré ses efforts. Il finit par aller se coucher en se promettant de tout mettre au feu le lendemain comme il le fait quand son travail ne lui convient pas. Or le lendemain, il fait jour. Et la lumière qui entre dans l’atelier irise la toile, le noir est tantôt or tantôt argent avec des reflets rouge, bleu ou ocre. On est en 1979. Voilà ce que Pierre Soulages, 60 ans, cherchait, la lumière au-delà du noir, l’outrenoir.

Commentaire de notre guide : on ne regarde pas un Soulages en restant planté devant comme on regarde la Joconde. Aussitôt dit, démonstration dans la grande salle 7 : nous allons défiler de droite à gauche puis de gauche à droite devant presque toutes les œuvres accrochées ou plutôt suspendues là. Chaque fois le même résultat, le même émerveillement, ces dalles dont le noir devrait normalement absorber la lumière irradient alors même que les nuages sont avares de soleil.

Il y avait au fond de cette salle 7 un long quadriptyque accroché au mur. L’emplacement ne plaisait pas à Pierre Soulage. Il a demandé que l’œuvre soit déplacée dans la salle 6 sur un mur perpendiculaire à la baie vitrée. Caprice de vieillard (Soulages est né en 1919) ? Que non ! Dans cette salle, sur ce mur, le quadriptyque est « irradieux » (néologisme atomique imaginé un jour pour illustrer la puissance et la beauté d’un rayonnement).

Aux Sétois, notre guide confie un autre « secret » sur les raisons de la composition des panneaux : dans l’atelier parisien situé en étage les cadres, pour sortir, doivent avoir des dimensions compatibles avec la taille de la porte ou des fenêtres (Soulages aimant les grands sinon très grands formats, il les « détaille » et on aura ici des diptyques, des triptyques ou des quadriptyques) ce qui n’est pas le cas de l’atelier de la villa du mont Saint-Clair construite à sa mesure (là on a des pièces mono élément).

Reste à faire un passage par la salle 8 consacrée aux vitraux de Conques (autre manière d’apprivoiser la lumière) avant de quitter notre guide en le remerciant chaleureusement. Les 180 minutes du trajet de retour seront à peine suffisantes pour se remettre de nos émotions.

Publicité

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Créez un site ou un blog sur WordPress.com

%d blogueurs aiment cette page :